Aeria, lumière des nuages

Le vrombissement sourd de la cité aérienne s’insinue doucement dans les échos cristallins de ma méditation. Je laisse ces sons intrus m’envahir sans résister. Je sens la Force qui me traverse et entraine avec elle mon esprit.
Je sens la lourde gravité de la cité flottante ; l’étendue presque infini de nuages qui nous entoure. Je sens l’énergie des créatures vivantes, grouillantes, actives, dans cette ville qui ne dort jamais.
Je la sens. Illyana me cherche. Je sens comme la maitresse Jedi tire se lien qui nous unis au travers des brumes de la Force. La sensation est étrangement différente, moins précise que ce que j’ai déjà perçu, mais plus forte. Cela me donne cet étrange sentiment d’un orage qui approche, de lourds nuages qui avancent.
Je me demande si elle est réellement en train de se rapprocher de moi. Elle a peut-être finalement retrouvé ma trace. Je ne me cache pas vraiment, je ne cherche pas à lui échapper. J’ai juste besoin d’un peu de temps et d’espace pour réfléchir.
Son image perturbe ma méditation. Une nouvelle fois, des sentiments contradictoires s’installent en moi. Je voudrais les laisser glisser sur moi, mais je ne suis pas sûr d’en avoir vraiment envie. Il est peut-être temps que j’accepte d’y faire face.
J’ai été bien formée. Je suis une bonne padawan. Je sais que je ne dois pas avoir peur de ce lien qui me relie à ma mentor. C’est un sentiment décuplé, normal, que les apprentis éprouvent à un moment ou un autre de leur formation. On nous apprend à en faire une énergie puissante…
Quelque chose ne fonctionne pas.
Un vide ne se remplie pas.
Je ne parviens pas à laisser son esprit se lier au mien dans l’énergie de la force. Pourtant je sens se manque, cet esprit qui devrait se trouver juste à coté de moi. C’est comme une pièce du puzzle qui ne rentrerai pas. Une pièce qui doit aller là, qu’on tourne dans tout les sens et qui ne trouve pas sa place.
L’esprit de la Jedi reste comme étranger. Son corps est bien là, pourtant. Contre moi. Je sens sa chaleur. J’imagine le contact de sa peau contre moi, nos mains qui se cherchent, nos membres qui s’enlacent. La Force étherienne est comme de l’eau, enveloppante et protectrice.  Je sens un lien charnel, une excitation qui irradie depuis mon ventre. J’ai l’impression qu’elle est toute près, qu’elle me cherche. Je ressens l’envie de la trouver, d’être avec elle.
Je la cherche, moi aussi.
Les pièces du puzzle ne s’assemblent pas…
Je ne renonce à me reposer. Je ne sais pas trop si cette méditation m’a apportée quelque chose. Mon esprit n’est pas apaisé.
Je dois me focaliser sur autre chose, ce pourquoi je suis venue.
Je suis prête à assembler mon sabre laser, étape supplémentaire vers la fin de ma formation.
Les composants sont tous devant moi, précisément ordonnés sur le tapis d’assemblage. Il y a là une partie cette dernière année. J’ai collecté patiemment les éléments, confectionné les modules nécessaires… Il ne manquait qu’une seule chose : l’essence de mon arme. Elle m’attendait patiemment ici, au cœur de cet océan de nuages.
Les jedis n’accordent plus tellement d’importance à la provenance de leur cristal. J’ai suivi un étrange chemin pour arriver ici. Maître Jaek Quee avait souvent ironisé sur les chemins que j’emprunterai pour confectionner mon sabre. Il n’avait pas vraiment tort. Pendant des années j’ai scruté les routes, espérant trouver des bouts qui me guiderai jusqu’à mon destin. J’avais gardé mon cœur ouvert et laissé la lumière me guider. Je pensais m’être égarée lorsque j’ai posé le pied sur Taske. Je ne pensais pas qu’il pouvait exister une antique forge ici. Je suis bien au bout de ce voyage.
J’ai passé quatre jours dans la forge, sous la lumière permanente du soleil de Taske ; la cité se déplace à la vitesse de la révolution planétaire. Cet endroit ne connait pas la nuit.
Quatre jours à puiser dans l’énergie du soleil.
Quatre jours à forger mon cristal avec la matière des nuages.
Quatre jours à ordonner les atomes en utilisant la Force.
La petite pierre est dans son champ de confinement. Elle est petite, solide. Je l’avais toujours rêvée ronde et douce. Mais elle est difforme, comme si la vie l’avait malmenée. Quelques éclats ont sauté lui donnant par endroit un aspect de pierre taillée grossière.
Ses défauts n’enlèvent rien à son énergie. Je perçois faiblement son scintillement malgré le confinement. J’aurais besoin de toute ma concentration pour la mettre en place.
Je respire profondément pour me donner du courage. Je sens mon corps qui tremble. J’ai longtemps attendu ce moment. Je tends mes mains au-dessus des pièces de ce puzzle. Je ferme les yeux. J’appelle la Force. J’aime la sentir s’éveiller en moi, envahir mon corps, couler dans mes veines. J’ai les yeux fermés mais il ne fait pas noir quand elle est avec moi. Un doux picotement remonte le long de ma colonne vertébrale et me fait frissonner. Quand la lumière est là je ne suis jamais seule.
Je ressens la présence de chaque composant. Doucement, un à un, je les soulève et les dispose dans l’air face à moi. Je sens la paix qui s’installe. Des visions montent avec la Force qui grandi et se focalise devant moi.
Je parcours les chemins en sens inverse, ceux qui m’ont menée ici, ceux qui m’ont éloignée, ceux que j’ai affronté.
Les pièces de mon sabre s’agencent doucement.
Je laisse les visions couler sur moi, sans peur. Je ressens la souffrance qui monte à mesure que je remonte vers le passé et que la puissance rassurante de la Force m’abandonne.
Chaque morceau de mon arme trouve sa place avec précision. Je m’apprête à desceller le champ de confinement.
Je revois la protection bienveillante de Maître Quee et de son apprenti d’alors, ma mentor maintenant, Illyana.
Le cristal de Force libère violemment son énergie, je lutte pour la contenir.
Lorsqu’ils disparaissent, je suis envahie par l’anéantissement et la douleur. Je tressaille en repensant à l’abandon, la solitude.
Je manque d’être débordée par l’énergie incontrôlable qui émane de la pierre.
Les souvenirs atroces des derniers instants de vie de ma mère se lie à ce chaos. Les vagues d’énergie sont autant de coups qu’elle a encaissé.
La scène semble se rejouer d’arrière en avant, sans cesse. Le désespoir m’assèche la bouche. Son épuisement et ses tourments se rejouent sur une trame infinie.
Si j’avais eu la Force à cette époque ! Elle se joue de moi.
Ce cristal, il focalise tout cela !
Je dois le contrôler.
Mon corps lance des signaux d’alerte, je sens ma peau qui brûle.
J’assemble les pièces. Elles se verrouillent. Elle forme l’écrin qui contiendra toute mon énergie. A mesure que je connecte la pierre, je sens la douce chaleur qui envahie mon corps. Les visions tournoient, mais je suis en paix au milieu de cette tempête.
Un bruit sec, mon cœur s’arrête, mon sabre est né.

Il flotte doucement face à moi. Son cœur et le mien sont liés.
Toutes les pièces du puzzle sont en place. Le vide n’est plus. Je peux arrêter de chercher ; elle m’a trouvée.
Une terrible évidence s’impose, comme un voile qu’on aurait imposé à mon esprit depuis toutes ces années qui s’évanouirait.
Les mots trouvent péniblement leur chemin jusqu’à ma bouche.
– J’ai une sœur.
Elle m’a trouvée.
Je sens un dénouement qui se profile dans la Force.
Le sabre glisse jusqu’à ma main.
Mes doigts trouvent naturellement le contacteur.
La lame scintille doucement. Une lumière blanche, à peine bleutée. Un fin rayon de lumière.
Maître Illyana entre dans la pièce. Elle semble confuse par mon sabre laser… Non… il y a autre chose…
Il lui faut un instant pour reprendre ses esprits. Elle semble avoir couru jusqu’ici.
– Maître Quee, il est…
– Oui, je l’ai senti je crois. Qui ? Qui a fait ça ?
Illyana reste confondu un instant.
Je connais la réponse.
– Il y a une nouvelle seigneure Sith…
Illyana est sur le qui-vive.
– Oui… Elle nous traque.
Nous réalisons toute les deux la présence à l’autre bout de la pièce, comme une ombre qui aurait émergée, dissimulée dans les brumes de la Force. Elle me renvoie un étrange écho que j’ai attendu toute ma vie.
Une lumière rouge.
Le grésillement caractéristique d’un sabre antique.
Ma sœur jumelle m’a retrouvée.

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