La déesse aux cent visages

Il est né sans nom. Il a dû forger le sien. Seu est un guerrier impitoyable. Il a survécu d’où nul autre n’est revenu. Il a vécu à l’abri du destin et des petits dieux. Il a refusé la table des rois et rongé les entrailles des forteresses. Son histoire n’existe que par l’allégeance qu’il a choisie et la maîtresse qu’il honore.
Dans quelques années, lorsque je vous raconterais toute la légende de Seu, vous viendrez ici, persuadé que cette nouvelle a inspiré la légende. Il n’en est rien. Elle n’est que l’écho déformé d’un passé déjà écrit.

Elle a cent visages,
Émergés des souffles brumeux,
Facettes d’un flocon.

 

Elle dégage son visage de la fourrure qui lui ceint le cou. Avant qu’elle n’ait eu le temps de repousser son capuchon, je la reconnais. Ce ne sont pas tout à fait ses traits pourtant je ne peux pas me tromper. Elle a cent visages mais il n’en existe qu’un à mes yeux.
Elle sourit de me voir sans voix, surpris de la voir ici.
– Bonjour, Seu.
Son timbre si particulier quand elle prononce mon nom fait remonter une boule de chaleur depuis mon ventre. Il n’y a qu’elle qui m’appelle comme ça… avec cette voix.
– Je ne m’attendais pas à te voir ici… Tu as besoin de moi ?
Elle m’attrape le bras furtivement et nous guide dans le flot des badauds.
– Ne t’arrête pas, continuons à marcher.
Les citadins nous ignorent pour la plupart, quelques regards obliquent ; Elle ne passe pas inaperçue. Elle remonte son capuchon, probablement une fois qu’elle a assez de cette attention.
Elle avance en silence à quelques pouces de moi. Sa trajectoire irrégulière l’entraîne parfois involontairement un peu plus proche puis elle reprend ses distances.
Elle a probablement ses raisons, mais je n’aime toujours pas quand elle me laisse sans réponse.
– Tu ne m’as pas invoqué ?
Elle se tourne à demi vers moi ; j’aperçois tout juste le bas de son visage et son sourire ingénu.
– Non. Je devais voir Sir Thomas Slade. J’ai vu que tu n’étais pas loin.
Je ne peux pas refréner un grognement à l’évocation de son nom ; je n’aime pas beaucoup ce type…
– Je n’aime pas beaucoup ce type. Il est ici ?
– Il a fait le déplacement, oui. Son bateau est en rade. Je sais que tu ne l’aimes pas mais le Seithr à besoin de lui.
Je ne comprends toujours pas ce qu’elle veut. Elle n’a pas besoin de moi pour voir Slade.
– Je t’accompagnerai si tu veux… mais il ne tolérera pas ma présence.
Elle n’a pas besoin de moi. Je suis un animal dressé, tout au plus, ni valet ni assistant. Ma raison d’être est de veiller sur elle mais il est des coups que je ne peux pas porter ou prendre pour elle.
Elle ne répond pas et s’accroche à mon bras.
Elle fini par minauder et se colle à moi.
– J’avais peut-être juste besoin de te voler un peu de chaleur…
Je scrute la rue et les passants. Je ne regarde pas dans sa direction mais je suis certain qu’elle sourit encore. C’est à mon tour de me taire.
Elle tire sur mon bras pour me faire changer de direction.
– Je vais avoir besoin de toi… après.
– Tu n’avais qu’à m’invoquer après. Je ne suis pas un jouet ; je sers le Seithr.
– Je sais tout cela…
Deux planches branlantes au-dessus d’un fossé resserrent notre passage. Elle ne s’arrête pas et franchi l’obstacle d’un pas aussi assuré que possible. Elle se tourne à demi avant de pénétrer dans la ruelle.
Elle me scrute.
J’aime ses yeux ; malgré tous ses visages, ils ne sont jamais vraiment différents.
Je traverse, réduis la distance entre nous.
Elle reste en place et entrave suffisamment le passage pour que je sois contraint de m’arrêter devant elle.
Elle baisse les yeux ; attitude inhabituelle.
– Je vais avoir besoin de toi. Après, tu devras être prêt. Avant, je vais avoir besoin de ton pouvoir.
Elle n’attend aucune réponse de moi, me saisit la main et m’entraîne dans la ruelle. Une arrière-cour nous isole de la vue et du brouhaha de la rue. Elle m’attire contre un mur. Je n’ai pas envie de résister.
Ses mains détaillent mon armure comme si elle l’éprouvait. Ses doigts remontent sur mon visage, glissent sur ma barbe et s’agitent en un mouvement familier sur mon crâne.
– Tu avais plus de cheveux la dernière fois…
– Tu es malvenue, toi qui as cent visages.
Elle sourit, entre innocence et timidité. Je suis le seul à connaître autant de ses visages. Certains sont de ses faiblesses. Elle ne craint rien pourtant ; je ne trahirais pas mon serment au Seithr et bien moins encore mon lien avec elle.
Elle se dresse sur la pointe des pieds et m’embrasse. La chaleur de ses lèvres est presque brûlante sur les miennes transies par le froid.
Elle se presse contre moi, ses mains s’agrippent à ma carapace et je sens ses doigts qui trouvent les défauts cachés. Ses baisers se font morsures. La vapeur de son souffle m’enveloppe en un charme puissant qui porte un gémissement de contentement.
Je réalise comme mon épée doit la gêner. J’essaie d’ajuster mon arme mais elle me repousse maladroitement. Elle tire à plusieurs reprises sur mes baudriers et ceinturons sans grand succès.
Elle lâche un rire frustré.
– Je n’y arrive pas.
Elle recule à peine mais je sens toute la tension et la chaleur qu’elle dégage et fait peser sur moi. J’exécute rapidement des mouvements instinctifs. Boucliers et armes tombent au sol rapidement et sans précautions.
J’envisage de déboucler mon armure mais elle est déjà contre moi. J’arrive à déboucler quelques attaches mais c’est insuffisant. Elle est conçue pour rester solidement en place.
Ses mains trouvent un passage entre le cuir et l’acier et je sens ses mains glacées sur ma peau. Loin de me refroidir, je sens mon sexe qui manque de place. Une boucle de plus et je libère un peu de tension. Elle faufile ses mains sous les miennes et profite de cet accès à mon entre jambe. Elle baisse juste assez mon pantalon.
Mes mains trouvent un passage sous sa cape. Je m’accroche à ses hanches, remonte vers sa poitrine en entraînant les pans de sa robe.
Elle me mord, surprise par le courant d’air froid sur ses jambes. Je redescends, passe sur ses fesses et la soulève contre moi.
Elle gémit.
Je profite qu’elle ne touche plus le sol pour échanger nos positions et la plaquer contre le mur. Ses bras enlacent mon cou et ses baisers passent sur ma joue, mon oreille.
Elle murmure mais je ne comprends pas ce qu’elle dit.
Je me dégage de son étreinte pour la tourner dos à moi. Je tire sur sa robe pour la remonter au-dessus de la taille. Je me plaque contre elle, mon sexe entre ses fesses.
Elle m’encourage et se frotte à moi. J’attrape mon sexe d’une main pour le guider entre ses cuisses. Le froid de l’hiver n’existe plus ici.
Je cherche à la pénétrer ; elle joue avec moi. Je lui rends la politesse. Elle se lasse la première et je sens le bout de mon sexe glisser entre ses lèvres humides.
Elle me laisse croire que j’ai gagné et se tortille hors de porté. Sa robe retombe.
Elle se retourne vers moi.
Ses visages…
Son regard.
Je me colle à nouveau à elle. Ses bras s’accrochent à moi. Nos langues se cherchent.
Je l’attrape sous le genou et lève sa cuisse. Il nous faut un instant pour trouver le bon équilibre.
Elle m’aide à remonter sa robe. Nos sexes se retrouvent.
Je la soulève et ne la laisse redescendre que lorsque mon sexe a trouvé sa place devant l’entrée du sien, trempé.
Elle se laisse faire et je la fais descendre sur moi. Mon bras passe autour de son torse menu pour ne pas la lâcher.
Ses mains s’accrochent à mon cou et elle s’appuie sur moi pour me presser. Je force mon passage dans son sexe étroit mais je me retire à peine pénétrée.
Ce petit jeu lui arrache une charmante grimace. Je recommence, même supplice. Elle en redemande. Je cède à son caprice. Ses gémissements m’encouragent.
Plus je capitule, plus elle reprend le contrôle. Rapidement, c’est elle qui dicte le mouvement. Elle connaît tous mes trucs ; ils sont devenus les siens.
Elle me repousse. Je sais ce qu’elle veut.
J’attends qu’elle demande, que ce ne soit pas trop facile tout de même. Mes mains cherchent le contact de son corps. Je m’accroche à ses hanches pour la tirer vers moi.
Elle me repousse d’une main.
– Allonge-toi…
Le sol gelé de la ruelle me fait regretter notre dernière rencontre – les jours perdus dans les hautes vignes de Véraguèse.
Je me pose sur le sol. Elle reste debout au-dessus de moi. Je remonte, comme je peux, le bas de ma brigandine. Les écailles sont contraintes dans une position anormale. Elle sourit. Inutile d’essayer de me dégager plus, elle ne cherche pas autre chose.
Moi non plus.
Elle se pose doucement à califourchon sur moi, robe et cape en corolle autour de nous.
Je m’inquiète inutilement qu’on puisse nous voir et scrute en direction de la rue. Elle interrompt ma vigilance de manière exquise. Je sens son sexe chaud qui glisse contre le mien.
Ses hanches vont et viennent sur moi. Un mouvement involontaire un peu plus ample me fait manquer de la pénétrer.
J’ai peur qu’elle se blesse sur ma carapace. J’évite de trop bouger et la laisse faire. Elle se penche sur moi, accrochée à mon plastron. Je sens son souffle chaud et saccadé sur ma joue. Je sens qu’elle résiste. Les mouvements de son bassin se font plus amples. Nos sexes se cherchent.
Elle exhale contre mon oreille.
– Donne-moi ton pouvoir, Seu.
L’ordre sonne comme une délivrance.
Elle se cambre. Mes mains cherchent ses cuisses sous les vêtements.
C’est elle qui ondule délicieusement. Ce n’est pas moi qui la pénètre, c’est elle qui glisse autour de moi. Elle envahit mon corps, se contracte autour de moi.
Son souffle dans mon cou se transforme en morsure bestiale. Elle m’entraîne au fond de ses chairs.
Je la sens couler sur moi, me recouvrir. Je ne suis qu’un jouet pour elle.
Je m’agrippe comme je peux. Mes doigts s’accrochent à ses habits. Je cherche sans succès à saisir ses hanches pour la serrer plus fort contre moi.
Elle se redresse. Je l’entrave en tirant sur sa cape pour la garder contre moi. Elle lutte. Sa broche cède à notre lutte et elle savoure cette liberté qu’elle m’arrache.
Ses mouvements deviennent plus saccadés.
Je me redresse sur les coudes. Son visage s’illumine. Elle s’accroche à mes épaules. Je sens la tension partagée entre nos sexes. Les petites décharges obsédantes envahissent ma verge.
Son mouvement ininterrompu change subtilement. Sa respiration est courte. Elle est presque en apnée lorsque je sens son corps tout entier se contracter. Elle continue à bouger mue par le simple réflexe.
Je la sens partir. Elle vacille, s’accroche à moi. Elle exulte en cris et en larmes. Je sens les puissantes décharges qui s’échangent en elle. Elles irradient jusqu’en moi.
Je suis prêt à exploser aussi. Nos mouvements perdent leur coordination. Je la retiens contre moi, force quelques coups de reins. Dans un état second, elle m’accompagne ; sa volonté brisée, la mienne mordante et affamée.
Mon sexe se contracte en secousses violentes.
Elle s’effondre sur moi, secouée de spasmes rythmés.
Son énergie se joint à la mienne. J’explose.
Mon corps se contracte comme aspiré par le vide. Je perds le contrôle et suffoque dans cet univers sombre.
J’ai peur.
Elle me poursuit.
Je disparais dans la terre pour me cacher.
Elle me digère et je n’existerai bientôt plus.
Seu !
– Seu !
Des étoiles bleues émergent de l’obscurité.
Je crie.
Silence.
J’aspire tout l’air que je peux. Le froid glacial me mord les poumons. J’arrive difficilement à contrôler ma respiration.
Je suis aveugle. À tâtons mes mains cherchent à s’accrocher.
Ma ceinture…
Mon épée…
Je les prends contre moi.
Des gestes automatiques, cent fois répétés.
La vue revient.
Ma respiration me semble presque normale.
Il s’est remis à neiger.
Je sens sa chaleur contre moi.
– Seu ?
Ses yeux me scrutent.
Je réalise tout juste ce qu’il s’est passé. Les visions sont de plus en plus puissantes.
– J’étais un petit animal. J’ai cru que tu me pourchassais. Je me suis caché dans la terre… mais c’était toi, tu me dévorais…
Ça n’a pas beaucoup de sens.
Elle semble ne pas m’avoir écouté. Son visage est à peine troublé. Je me demande si elle a les mêmes visions.
Le Seithr est fondé sur des racines bien plus puissantes et je ne dois ma condition qu’a ma sensibilité particulière. C’est ce lien avec cette chose que je ne comprends pas qui me vaut aussi ses faveurs.
– J’ai vu les feux bleus d’Ashkel…
Elle me regarde, entre surprise et curiosité.
– Oui, c’est ce que j’avais vu aussi… Il faudra que je m’intéresse un jour à ta sensitivité…
Elle se redresse, visiblement pressée de remettre en place ses vêtements et retrouver la chaleur.
Le froid de l’hiver s’invite subitement dans sa voix. Toute promiscuité a disparu ; elle reprend ses distances et me renvoie à mon rôle.
– Tu vas partir pour Ashkel. Je te retrouverais là-bas dans quelques jours. Tu devras être prêt à tuer.
Je le suis toujours. Je ne cherche pas de détails.
– Et pour Slade ?
Je laisse volontairement traîner l’ambiguïté de ma question ; je veux tuer Slade depuis trop longtemps.
Elle se tourne vers moi. Elle plisse un instant les yeux comme si elle lisait dans mes pensées. Son sourire connivent en dit long.
– Ne t’occupe plus de lui. Je n’en ai plus vraiment besoin, moi non plus. Il fallait juste que je sois sûre…
Elle me tourne le dos, remonte son capuchon, probablement déjà préoccupée par la suite à venir.
Je pense à ce visage, son visage. Je me demande si je le reverrai un jour. Slade ne connaîtra que celui-là… il y a tous les autres…
Elle lit dans mon esprit – encore. Elle se retourne, repousse juste assez sa cape pour que je puisse mémoriser ses traits

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